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Comédienne oscarisée, Anjelica Huston, fille de John et ex-compagne de Jack Nicholson, a tout vécu de Hollywood et de ses amours toxiques. Elle publie ses Mémoires.
Une rue paisible baignée d'un jour limpide, en contrebas de Sunset Boulevard. Les pelouses comme des carrés de soie déployés au soleil, dans le bruissement assoupi de l'arrosage automatique. Un jardinier discret dont l'ombre glisse sur les murs blancs. Deux voitures de sport d'un noir brillant devant la porte qu'une assistante vient ouvrir pour nous mener au salon. La maison est d'un charme discret, fondue dans l'opulence d'un quartier résidentiel de Pacific Palisades. Des animaux brodés sur les coussins d'un canapé écru, quelques statuettes et quelques livres d'art sur la table basse.
Anjelica Huston, vêtue de blanc de la tête aux pieds, a beau être une divinité hollywoodienne, la scène ne ressemble pas à celle qu'on s'était racontée. L'ex-compagne de Jack Nicholson ne reçoit pas dans le parc d'un château californien dont les allées descendraient en pente douce vers le Pacifique, mais sa conversation aimable et ses souvenirs d'une clarté dérangeante ont vite fait de nous transporter ailleurs, sur les hauteurs très romanesques d'un clan – le sien, celui des hommes de sa vie – qui a marqué l'histoire du 7e art.
Elle en a tiré une volumineuse biographie (deux tomes aux Etats-Unis, un seul en France) dont le luxe de détails laisse rêveur. Notamment sur les années d'enfance (plus ou moins) près de son cinéaste de père, à St Clerans : un immense manoir aux portes du Connemara, bordé de forêts, de lacs et de tourbières, que John Huston s'était offert par passion pour la chasse au renard et les « intrigantes femmes sorcières » de la lande irlandaise.
“Mon père était plus grand, plus fort et doté d’une plus belle voix que quiconque.”
« Mes Mémoires ne sont que la partie émergée de l'iceberg, dit-elle. Je suis retournée si souvent à St Clerans en pensée que j'ai l'impression de revoir cette époque en Technicolor. » Le cinéaste est une figure gigantesque dans le souvenir de sa fille. « Un mètre quatre-vingt-dix et de longues jambes. Mon père était plus grand, plus fort et doté d'une plus belle voix que quiconque. Il avait les cheveux poivre et sel, le nez cassé des boxeurs et une dégaine spectaculaire. »
Anjelica et John Huston à Los Angeles en 1984.
« Je vénérais mon père. Quand il repartait, les portes battaient dans le vide, elles se refermaient sur l'immensité de son absence. » Dans son livre, elle le décrit avec une grande tendresse, mais sans complaisance, sans rien cacher de sa dure personnalité, de ses idées d'un autre temps et de ses ravages sur les nombreuses femmes qui l'ont approché de trop près.
A St Clerans, Anjelica vivait une drôle de vie, avec sa mère, dans un petit cottage à l'écart, séparé de la somptueuse demeure paternelle par une rivière à truites. L'épouse et les enfants n'avaient pas leur place dans l'univers très masculin de fêtes et de débauche. L'actrice raconte tout des infidélités compulsives de son père, notamment de sa liaison passionnée avec Suzanne Flon, rencontrée sur le tournage de Moulin Rouge, un an avant sa naissance.
“J’étais très croyante. Je vivais dans un monde imaginaire.”
Dans cet univers étrangement confiné, elle est curieuse de tout et se découvre très tôt un don pour la comédie, imitant et parodiant les bonnes amies de son père. Elle meuble sa solitude en s'inventant des rôles et en écrivant des pièces peuplées de papes, de pêcheurs ou de fées. « J'étais très croyante. Je vivais dans un monde imaginaire, j'étais actrice, danseuse, religieuse, je me déguisais sans cesse, je me mariais souvent, seule sur le perron, avec mon bouquet… »
A l'époque, sa mère, Ericka Soma, souffrait plus qu'elle ne l'imaginait. D'une beauté de madone, douée pour la danse, élève de Balanchine, elle se rêvait actrice. David O. Selznick lui avait offert un contrat et Life, sa couverture pour ses 18 ans, mais, dans la foulée, elle avait épousé John Huston, lui avait donné un enfant et s'était effacée dans l'ombre du maître. « Elle était drôle, subtile, douée et délicate, nous nous entendions comme des sœurs, dit Anjelica Huston. Elle n'en parlait pas trop, mais elle a laissé filer sa vie et s'est soumise à cet homme, avant de partir vivre seule à Londres, avec ses deux enfants. Elle n'a jamais pu s'accomplir, ni se réinventer comme elle le souhaitait. » Elle est morte dans un accident de voiture à Dijon. A 39 ans.
Dans le tourbillon du Swinging London, où elle croise Mick Jagger, Jimi Hendrix et fréquente les soirées folles et psychédéliques de la Roundhouse, le premier amour d'Anjelica est un photographe, Bob Richardson, génial mais toxique. Quand elle le rencontre, elle a 18 ans et lui, 41. Elle se relève difficilement d'une expérience catastrophique d'actrice dans Promenade avec l'amour et la mort, dirigée par son père.
“Bob Richardson et les grands photographes de l’époque m’ont aidée à avoir confiance en moi.”
« Il a été d'une dureté incroyable, ne supportant pas que j'énonce une opinion, m'humiliant sans cesse devant les autres. J'en perdais mes moyens et la presse n'a pas été tendre ["Le visage d'un gnou épuisé", écrivit un critique américain, ndlr]. Bob Richardson et les grands photographes de l'époque, Richard Avedon, Guy Bourdin, David Bailey, m'ont aidée à avoir confiance en moi. » Avec son amant sombre et difficile (père du photographe trash Terry Richardson), elle apprend à apprivoiser l'objectif et la lumière. Et à créer des personnages qui font d'elle un des mannequins vedettes de l'âge d'or de la mode internationale.
« Nous avons été des pionniers. Nous prenions le contrepied des beautés sages pour papier glacé. Nos photos était dures, mystérieuses, un peu crades et pleines de colère. Quand je suis arrivée à Hollywood, j'avais inventé, avec Bob Richardson, l'image de la séductrice sombre, dépressive, inquiétante, vêtue et fardée de noir, un peu comme la Morticia Addams qui me fascinait tant quand j'étais enfant. » [Elle finira par interpréter la sorcière préférée des Américains dans l'adaptation au cinéma de La Famille Addams par Barry Sonnenfeld, en 1991, ndlr].
Anjelica Huston et Jack Nicholson à Los Angeles en Janvier 1974.
Photo: Frank Edwards/Archive Photos/Getty Images
J’aurais dû prendre mes jambes à mon cou dès ma rencontre avec Jack Nicholson.”
L'acteur roi des années 70 vivait entouré d'un bataillon d'assistants et d'une cour d'amis qu'il appelait « mon peuple ». Ses maîtresses étaient nombreuses, sa popularité, stratosphérique. « Il recevait dix fois plus de scénarios qu'il ne pouvait en lire et j'attendais les miens. La frustration était forte. J'essayais aussi de ne pas me laisser dévorer par la jalousie. De ne pas la montrer en tout cas. A l'époque, la Californie était le paradis de l'amour libre. Etre sentimental n'était pas à la mode. J'aurais dû prendre mes jambes à mon cou dès notre rencontre. Mais je suis fascinée par les hommes aussi brillants que dangereux. »
Même si elle avoue avoir perdu du temps et gâché son talent en s'oubliant avec eux et en cédant au vertige des mondanités (ses Mémoires tournent, parfois, au catalogue de célébrités), Anjelica Huston est restée une battante. Après avoir décroché de petits rôles dans les films où jouait Nicholson (Vol au-dessus d'un nid de coucou, Le Dernier Nabab, Le facteur sonne toujours deux fois), elle s'est offert une revanche éclatante en décrochant l'oscar pour L'Honneur des Prizzi, un film de son père où son compagnon tenait le haut de l'affiche. C'était en 1985.
En dehors de ses apparitions chez Wes Anderson, ses derniers grands rôles remontent aux années 90. Chez Woody Allen (Crimes et Délits), Stephen Frears (Les Arnaqueurs) et Sean Penn (Crossing Guard). Et dans son propre film, Agnes Browne, mis en scène dans l'Irlande de son enfance. « Peut-être ne suis-je pas assez agressive. Et je n'ai pas toujours été très chanceuse non plus. Un jour, j'ai trouvé un livre que je voulais adapter. Je l'ai apporté à des producteurs. Quelques jours après, j'ai appris qu'ils avaient préféré mettre un homme sur le coup… » C'était Million Dollar Baby. Réalisé par Clint Eastwood.
Depuis plus de vingt ans, elle cherche à réaliser le portrait d'une pasionaria d'Irlande, Maud Gonne, militante féministe et nationaliste, femme d'esprit et libre amoureuse qui s'épanouit auprès d'un artiste, W.B. Yeats, dont elle fut la muse. « Ils ne s'aimaient pas de manière traditionnelle, leur amour était plutôt platonique, allez raconter ça à Hollywood ! » Elle a contacté Daniel Day-Lewis pour le rôle de Yeats et, encore récemment, elle fouillait les archives de Dublin. Elle dit, aujourd'hui, avoir renoncé. On n'a pas envie de la croire.
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